Le Manifeste de l’Acteur Alchimique
Le Manifeste de l’Acteur Alchimique relie deux mondes : le théâtre et l’alchimie. Il tente de faire naître une métaphysique nouvelle dans laquelle le théâtre se souviendrait de sa transcendance.
L’humanité a toujours cherché à tracer des lignes entre la terre et le ciel. A Babylone, il fut un temps où l’on bâtissait la terre à l’image du ciel. Il fut un temps où les plans du temple de Salomon reflétaient le plan de l’univers. Les édifices religieux, temples et autres pyramides ont érigé, de par leur architecture et leur fonction, des liens alchimiques entre la terre et le ciel. Il faut entendre ici Alchimie, non comme pré-chimie ou hyper-chimie (la transmutation du plomb en or n’est qu’anecdotique), mais dans son sens le plus universel = transfiguration de l’inférieur en supérieur, de la matière brute en matière noble. Les édifices sacrés assuraient la circulation respiratoire entre haut et bas. Au centre des églises chrétiennes un puits s’enfonce en terre, tandis qu’à son point le plus élevé culmine un clocher, angle tendu, s’achevant en un paratonnerre planté dans le ciel.
Il y eut un temps premier où la terre et le ciel ne faisaient qu’un. Leur séparation, moment crucial de l’humanité, inaugure la plupart des cosmogonies connues. S’il y eut chute primordiale, ce n’est pas tant celle de l’homme ou de Satan mais plutôt celle de la terre qui s’est décrochée du ciel dans la tête des hommes. Cette chute fit naître la transcendance. Depuis, la religion n’a eu de cesse de monopoliser le lien entre les deux entités, et de s’autoproclamer canal unique de transcendance. Ici, c’est à l’acteur que nous proposons de réunifier les entités devenues contraires, de réhabiliter le corps de l’homme par le corps de l’homme.
A l’heure où les églises s’effritent, tombent en lambeaux, l’acteur retrace les lignes perdues, se dresse et s’enfante homme-église. Homme-église vénérant non pas un dieu mais se hissant à l’existence de Dieu. Il donne naissance à sa propre cosmogonie, fait naître de lui un nouvel univers ; devenant créateur de son propre univers, il terrasse dans l’instant tout autre dieu en présence et prend sa place. A la manière de ce dernier, la seule condition de son existence demeure dans la croyance. C’est dans celui-qui-voit, le peuple des spectateurs, qu’elle peut s’incarner. Tout comme Cybèle, fille de la terre et du ciel, initia Dionysos à ses mystères, l’acteur est enfanté par le haut et le bas, devient le lieu de la transmutation. On réclame depuis un certain temps un acteur-chaman, mais arrivé à sa limite de prédiction, je crois qu’il doit maintenant affirmer son existence de Dieu en puissance.
La moitié des choses consignée dans ce livre a été vue ou expérimentée, l’autre moitié, plus l’infini, restent à l’être.
Ce manuscrit fragmentaire a été écrit et peint entre le 18 décembre 2007 et le 03 janvier 2012. Ils font état d’une pensée continue qui m’a traversé entièrement et sans repos pendant quatre années, pensée dont la forme changeait sans cesse mais ne s’interrompait jamais. Ces matériaux figent dans le papier, pour en finir une bonne fois pour toutes, la quête folle qui anima ma première jeunesse, qui l’anime peut-être encore et inaugure un geste futur.
Le Manifeste de l’Acteur Alchimique a été publié en 2014 par les Éditions Parallèles Imaginaires. Il a été écrit et peint par Simon Gauchet de décembre 2007 et janvier 2012. La préface a été écrite par Paul Tran.